Dans la continuité de notre dossier sur la trisomie 21 (et à l’approche de la Journée Mondiale de la Trisomie 21, le 21 mars 2014), nous publions aujourd’hui le témoignage de Constance, âgée de 22 ans et ayant un frère ainé trisomique, Nicolas, âgé de 27 ans. C’est avec beaucoup de réflexion que Constance a partagé avec nous son ressenti et son relationnel avec Nicolas. Des mots sans complaisance qui trahissent sa réalité.
Alors que dans l’article « Avoir une sœur trisomique ? Une richesse ! », les différents témoignages parlaient de relations fusionnelles, d’amour et de partage malgré les difficultés du quotidien et le regard de l’autre, Constance nous fait part de sa peine à établir une véritable relation frère-sœur avec Nicolas : « Il faut être honnête, la vie quotidienne avec un frère trisomique n’est pas toujours facile, ni pleine d’amour comme certaines personnes le pensent. La trisomie est difficile à porter, pour lui, mais aussi pour son noyau familial ».
L’arrivée d’un enfant trisomique dans une famille est source de bouleversements, pour les parents et les autres enfants de la fratrie. Souvent, cet enfant provoque un changement de regard, une ouverture, et une dose d’amour immense. Mais pas uniquement. Du fait de son handicap et des problématiques liées, il devient le centre de la famille : parents, frères et sœurs vivent à son rythme. Les frères et sœurs, qu’ils soient nés avant ou après, peuvent ressentir divers sentiments. Jalousie ou culpabilité par exemple. Ces sentiments peuvent engendrer une réelle souffrance : sentiment d’une préférence de la part des parents ; leur exigence vis-à-vis de l’enfant non-trisomique ; le temps passé à s’occuper de ce frère ou de cette sœur différent(e) ; le regard des autres et des proches ; le sentiment de culpabilité mêlé parfois à de la honte.
Le témoignage de Constance nous parle de ce paradoxe, de cet amour mélangé à une souffrance sous-jacente et à une incompréhension de ses proches face à celle-ci. Il soulève aussi la question de la place de l’enfant non-trisomique dans une fratrie où l’enfant trisomique est, de fait, le centre de l’attention des parents. Un enfant non-trisomique qui peut ressentir un manque.
« Les regards, dans la rue, je ne les ai pas vraiment mal vécu : j’essaies de les ignorer comme le fait mon frère. J’ai plus de mal avec les réactions de mes parents, parfois très énervés ! Aujourd’hui, j’ai l’impression que les gens regardent moins. Les enfants évidemment regardent, mais c’est normal, et je me dis que ce ne sont pas forcément des regards malvenus. Moi aussi, je regarde les handicapés dans la rue, dans le bus, mais au même titre que les autres personnes.
En fait, je trouve que ce sont les regards des proches qui sont les plus agaçants. Les personnes extérieures sont « attendries » par la trisomie, considèrent ça comme « un cadeau » et ne comprennent pas, ou ne voient pas que ce n’est pas facile. Ces personnes, parfois des proches, ne connaissent pas la réalité, le quotidien de la trisomie, et ne l’imaginent pas. J’ai souvent eu le droit à des réflexions comme « Oh mais ton frère il est gentil » ou autres. Et, je passe pour la méchante parce que j’ose dire que c’est difficile à vivre. Les personnes qui ne connaissent pas ou peu la trisomie voient trop souvent le côté rose, « cadeau du ciel », et on se sent jugés quand nous le vivons mal. Par sa personnalité et par sa trisomie, mon frère a des côtés que je trouve de plus en plus difficile à supporter. Il ne connaît pas la pudeur, la honte, il ne comprend pas certains aspects de la vie sociale, et c’est compliqué à assumer. Pour donner un exemple, quand je vivais encore chez ma mère, nous prenions la même ligne de bus, généralement à des heures différentes. Parfois, il arrivait que nous prenions le même bus. Comme il tient à son autonomie, généralement il m’ignorait. Un jour, alors que j’étais assise quelques sièges derrière lui, il a commencé à me parler tout fort, alors que le bus était bondé. Et bien c’est quelque chose qui n’est pas mignon, c’est plutôt honteux (surtout pour moi qui n’aime pas me faire remarquer) ».
Une relation frère-soeur particulière
Mais, ce qui manque le plus à Constance c’est l’absence d’une « vraie » relation frère-sœur : « Le plus difficile pour moi c’est de ne pas avoir une véritable relation frère/sœur avec lui, encore moins grand-frère/petite-sœur ». Elle rêvait d’avoir un grand frère qui rassure et protège : « Comme beaucoup de petites sœurs, j’avais cette impression qu’il pouvait me protéger en allant « taper ceux qui étaient méchants avec moi ». Peut-être que finalement la trisomie devient plus difficile à vivre quand on réalise que non, que c’est à moi de le protéger ». En effet, le témoignage de Constance soulève une question fondamentale. Lorsqu’un enfant handicapé mental est l’aîné, il arrive toujours un moment où il est dépassé intellectuellement par son cadet. Et souvent, les parents, inconsciemment inversent la place de chacun dans la fratrie. Le cadet devient, en termes de responsabilités et autonomie, « l’aîné » qui veille et protège. Constance nous raconte : « Je me suis toujours occupée de Nicolas comme une grande sœur, parfois comme une maman. À tel point que beaucoup de gens, y compris mes parents, font parfois le lapsus (ou pas) de l’appeler mon petit frère (bon, j’imagine que la taille joue aussi, étant donné qu’il fait bien 15cm de moins que moi). Il y a des jours où j’ai même l’impression d’avoir plus d’autorité sur lui que mes parents. Je crois qu’il a plus peur de moi que d’eux, parce que je me suis déjà énervée contre lui, comme une mère avec ses enfants. Un exemple récent, ma mère a décidé il y a quelques semaines de changer un meuble dans sa chambre ainsi que sa télé (objet sacré à ses yeux). Sauf qu’il faut savoir que mon frère n’aime pas le changement, surtout pas dans sa chambre où il a ses habitudes et ses manies. Il n’a pas arrêté de râler pour dire que ce que nous lui avions acheté à la place était « moche ». Ma mère pouvait dire ce qu’elle voulait, son comportement restait le même. Mais quand moi j’ai élevé la voix et que je lui ai clairement dit que de toute façon il n’avait pas le choix et qu’il valait mieux pour lui qu’il l’accepte, les choses ont changé et il a alors accepté ce changement ».
Une peur de l’avenir
Constance nous fait part de ses angoisses, de sa peur pour l’avenir de son frère : « Ce qui aujourd’hui me fait peur et me frustre, c’est l’avenir, le sien comme le mien. Actuellement, mon frère a presque 28 ans et il vit toujours avec mes parents. Il est dans une structure de jour, et va donc travailler tous les matins et rentre tous les soirs. Je me pose beaucoup de questions, comme « est-ce qu’il partira un jour de chez eux ? », et surtout « que va-t-il devenir une fois que nos parents ne seront plus là ? ». Moi je ne m’imagine pas vivre en France, je veux voyager et vivre aux quatre coins du monde. Comment je ferais pour m’occuper de lui à des milliers de kilomètres ? Que je vive en France ou non, je ne me vois pas le faire venir vivre chez moi, avec peut-être ma famille. D’un autre coté, il y a une forme de culpabilité. J’ai du mal à envisager le fait de le mettre sous tutelle ou autre. Ça me paraît compliqué, et j’angoisse à l’idée de me tromper quelque part ». Une peur partagée par beaucoup de frères et sœurs d’enfants trisomiques, mais souvent taboue. Constance a eu l’honnêteté et le courage de la formuler.
Et pourtant, l’amour est là
Le témoignage de Constance trahit bien ce sentiment de culpabilité et une souffrance certaine. Pourtant son amour pour Nicolas vient tempérer ses sentiments. Elle nous raconte : « Malgré tout ça, on partage des moments complices. Quand je le taquine jusqu’à ce qu’il rigole, ou quand on joue ensemble à des jeux vidéo (c’est un pro du bowling sur la Wii). J’aime aussi quand je prends la voiture avec lui et que nous ne sommes que tous les deux. Souvent j’essaye de discuter avec lui (même si ses réponses sont courtes), ou alors je mets de la musique et je chante pour le faire rire. Il parle de moi à tout le monde avec fierté (surtout quand j’étais petite), il me donne un surnom que je ne supporte pas, et des fois il m’appelle Princesse, ou alors c’est « ma sœur ». De même, elle nous dit que Nicolas lui a appris beaucoup : « Une chose est sûre, mon frère m’a appris la tolérance, l’indépendance, et surtout à éviter de juger les autres quand on ne les connaît pas. Ça peut paraître bête, mais ce sont des qualités qui me définissent, que mes amis disent apprécier chez moi, et je me demande si sans lui ce serait la même chose. Mon frère et sa trisomie font vraiment partie de ce que je suis ».
Elle conclut : « J’ai également conscience que sa trisomie me donne ma chance. Certes j’ai toujours été celle qui portait sur les épaules les espoirs de nos parents, mais aujourd’hui j’ai le privilège de pouvoir faire les études qui me plaisent, de partir en échange à l’étranger, et je pense que si j’avais eu un frère qui lui aussi avait fait des études, mon parcours n’aurait peut-être pas été le même. Mais je suis aussi soulagée de ne plus avoir à vivre avec lui tous les jours. Je le vois de temps en temps quand je rentre chez mes parents, et ça nous suffit. Parce que lui aussi il est bien content de ne plus m’avoir sur le dos ! »
- Merci à Constance pour son témoignage qui nous donne une nouvelle facette de cette relation si particulière que l’on peut avoir avec une sœur ou un frère trisomique. Merci pour son courage, et pour cette jolie photo.
Julie DERACHE
Pour aller plus loin sur le même thème :
Avoir une soeur trisomique ? Une richesse !
haristoy dit
Constance: pas de culbabilité à avoir à l’âge que vous avez il est normal de ne pas vouloir se voir constament, vous vous posez des questions sur votre frère, mais sans doute avant son futur à lui il va y avoir la question pour vos parents: comment ferez vous quand ils seront vieux avec vos voyages?votre vie propre? les ressources en vous et externes que vous trouverez à ce moment là seront valables… pour votre frère. vous avez le droit d’avoir votre vie, mais effectivement il va vous falloir organiser des choses pour que d’autres, dont ce sera sans doute le métier, s’occupent de votre frère. et là vous serez pleinement soeur avec lui et non pas surtout sa responsable légale. faites vous aider, prennez votre temps. et restez celle que vous êtes, une personne bien identifiée.
Anne-Lise dit
Je pense que le regard de Constance évoque beaucoup quant à la place du frère/de la soeur trisomique par rapport aux autres membres de la fratrie.
J’ai eu un grand frère handicapé (handicap mental assez léger mais de gros faiblesses physiques) qui nous a malheureusement quitté trop tôt à l’âge de 21 ans. Je suis sa cadette, de fait celle qui avait quatre ans de moins que lui. J’étais dure je pense vis à vis de mon grand frère, voulant à tout prix qu’il se comporte de la manière la plus normale possible; ma mère nous ayant éduqué pareillement, il n’a jamais souffert d’un trop grand protectionnisme, il était ma foi finalement très autonome. Mais il demeurait entre nous une rivalité souterraine, il exprimait sa frustration de voir que je gagnais plus en autonomie que lui, que j’aurai un travail et des enfants plus tard, que j’étais indépendante et qu’on m’assignait plus de responsabilités qu’à lui. De cela, je retiens la trop grande rigueur que je me suis toujours imposée, mon caractère me rapprochant trop de ma mère.
J’ai une petite soeur qui est quinze mois plus jeune que moi, qui essaye toujours de se faire une place dans notre fratrie.
Alors que j’avais un peu plus de deux ans et demi, mes parents ont décidé d’adopté un petit garçon trisomique. Il est d’origine réunionaise, sa couleur de peau est toujours un sujet de plaisanterie (étant de couleur chocolat, il a besoin d’une part plus grosse que les autres de chocolat…). De tout petit, j’ai toujours eu le souvenir d’un petit frère prêt à faire les quatre cent coup avec ma soeur. Très débrouillard et pas du tout patte molle (nous remercions les cascades de notre enfance qui ont développé ses sens), il est très sportif, vivant et manie un humour si fin qu’il en est désarmant en société. Il sent les gens, les manipule à sa guise… Lorsque nous avons perdu notre frère aîné, il a pris la mesure que la vie n’est pas toujours facile mais a pris à sa charge de nous aidé dans notre deuil. Je pense que notre famille se serait bien effritée sans lui. Aujourd’hui, à plus de mille kilomètres de lui du fait d’un séjour erasmus, mon frère me manque terriblement. Son humour, ses machinations bienveillantes me font sourire. Il sait qu’il est mon King, qu’il pourra toujours pleurer à ma porte pour avoir un Ipod ou le dernier sweat Marshall et Franklin ou me faire remarquer que ma culture musicale est hasbeen.
Son nom est Brieuc, pour lui je décrocherai la lune. Après tout, on en est pas à un caprice prêt.
tri21mum dit
un grannnnnd merci pour ce témoignage.
Oui la trisomie est un poids pour les familles et non pas un cadeau du ciel.
Merci à cette jeune femme d’avoir exprimé ce que tant de familles, fratries vivent aussi.
Merci
marine dit
un très beau témoignage..
j’ai 16 ans et j’ai un petit frère de 15 ans atteint de trisomie, et hyperactif.
J’ai énormément souffert du regard et des remarques des autres, qui évoquaient comme le dit constance « un cadeau du ciel », un don pour la famille, qui ouvrirait nos coeurs. Au quotidien, jusqu’a 9 ans j’ai adoré avoir ce petit frère qui ne grandissait pas et dont je pouvais m’occuper, meme si j’étais terriblement jalouse de tout le temps que Maman lui consacrait. Je n’ai pas su évoquer cette souffrance et cette jalousie, et aujourd’hui tout ce que je pensais avoir bien enfoui au fond de moi est ressorti avec l’anorexie, avec laquelle je me bats depuis déjà un an.
cela fait du bien d’entendre d’autres frères et soeurs dirent que non tout n’est pas toujours rose, et que malgré l’amour qui nous lit avec ce frère si différent, il est dur de trouver sa place et de vivre au quotidien avec le handicap